Des femmes et des bijoux
Chaque bijou est une histoire d’amour. Entre celui qui le fabrique et son art, les pierres soigneusement choisies, son idéal de beauté. Entre deux personnes, celle qui l’offre et celle qui le reçoit. Simplement, à lire l’histoire des bijoux, on a l’impression que ces histoires se jouent toujours avec les mêmes rôles : l’homme fabrique et offre, la femme reçoit et porte.
Rien n’est moins vrai, ni aussi caricatural.
L’histoire des femmes et des bijoux est aussi une histoire d’artisanes et de joaillères. Les hommes ont porté, de tout temps des bijoux.
Les hommes aussi portent des bijoux
On a dit souvent que l’espèce humaine était la seule où le mâle devenait volontairement gris (ou noir), éteint et moins flamboyant que la femelle. Cela recouvre seulement une toute petite part de notre histoire occidentale, celle qui va, grosso-modo, du second Empire à la fin des années soixante-dix. Effectivement, durant ce siècle là, l’homme ne porte pas d’autres bijoux qu’une montre, une épingle à cravate et des boutons de manchette.
Mais avant… regardez ce portrait d’Henri III, prince de la Renaissance, qui portait de façon tellement moderne une seule grosse perle baroque à l’oreille. Henri III n’était pas efféminé, comme Alexandre Dumas l’a fait croire. Il portait – et faisait – la mode de son temps. Et si « la » boucle d’oreille était une innovation de fashionista avant l’heure, les gentilshommes de son temps portaient bagues, décorations, broches et colliers en abondance.
Regardez ce célèbre portrait d’Henri VIII par Holbein le Jeune. Le roi est paré, emperlé, empierré comme un camion.
Il porte, bien sûr, un collier royal, mais aussi (on ne les voit pas sur ce gros plan) un pendentif avec St Georges et le Dragon, et des bagues. Il y a même des pierres et des perles sous les revers de son chapeau ! Sans compter la broderie d’or sur ses vêtements, les boutons en pierres précieuses…
Comme il est roi, ses bijoux sont plus magnifiques que ceux de ses sujets, mais on s’habillait « comme ça ».
Et aujourd’hui, si vous êtes invités à un mariage indien, vous verrez un époux aussi paré que la mariée.
Des femmes orfèvres et joaillères
Avant ces dernières années, les noms féminins sont rares dans l’histoire de la joaillerie.
Pourtant, au Moyen-Âge, les femmes orfèvres existaient. Rappelez-vous de Dame Mathilde, dans la Chambre des Dames, superbement incarnée par Odile Versois. Dame Mathilde dessine des modèles, tient boutique de concert avec son mari.
Le travail de l’orfèvre est rattaché à celui du forgeron. Il est beaucoup moins dur, physiquement, mais cela explique en partie la rareté des femmes dans ce métier. Dans de nombreuses civilisations, la caste des forgerons est à part. Le travail de la forge est considéré comme magique (rattaché d’ailleurs à l’Alchimie) et réservé aux hommes. Le premier des forgerons, dans la Bible, descend de Caïn, et Hiram, dont se réclament les franc-maçons, était forgeron.
Avec la grande révolution de la première guerre mondiale, qui met les femmes au travail, pour remplacer les hommes partis sur le champ de bataille, cela change. Si Chanel ne faisait pas de bijoux elle-même, mais en confiait les dessins à d’autres, comme Fulco di Verdura, les femmes se mettent enfin à l’établi et au chalumeau.
Jeanne Toussaint pour Cartier, Suzanne Belperron, qui sera, je crois, la première femme à créer une maison portant son nom, ou l’allemande Elisabeth Treskow, qui réinvente la granulation et fera de superbe bijoux, en plus de la coupe du championnat de foot, ouvrent la voie.
Aujourd’hui, les femmes joaillères sont aussi créatives, aussi reconnues et (presque) aussi nombreuses que les hommes. Je vous ai déjà parlé de Cindy Chao, je vous ai déjà montré les créations poétiques de Victoire de Castellane, de Lydia Courteille ou de Sylvie Corbelin, j’en ai plein d’autres dans mes cartons !
Qu’elles soient originaires d’Extrême-Orient, comme Anna Hu, du monde des Mille et Unes Nuits, comme Sara Taseer, qu’elles découvrent seules le monde des pierres précieuses ou qu’elles appartiennent à une famille de joailliers, comme Delfina Delettrez, la fille de Bernard Delettrez, que leur inspiration soit classique, comme celle de Valérie Missika, ou puise dans les rites de la forêt amazonienne, comme celle de Nathalie Regnier, dans l’histoire et les rituels du henné, comme celle de Dionea Orcini, les femmes sont partout dans le monde de la joaillerie.
Bague « Les jardins de Xochimilco » par Lydia Courteille
Un collier exceptionnel en cristal de roche, un pendentif avec une plume
Et elles le méritent bien, non ?
Croqueuses de diamant ou pauvres petites filles riches ?
L’histoire des bijoux, et de celles qui les portent, n’est pas toujours rose.L’amour, certes, mais l’argent, la quête de pouvoir, la jalousie, le meutre, les révolutions. Les femmes qui aiment les bijoux et qui ont les moyens de s’en offrir ont souvent des vies romanesques.
Certains de ces romans ont été écrits, Les Trois Mousquetaires, qui tourne autour des ferrets de la Reine Anne d’Autriche, ou Madame de… de Louise de Vilmorin, porté à l’écran par Max Ophïls, qui raconte les aléas d’une paire de boucles d’oreille, devenues symbole d’un sentiment amoureux.
Pourtant, les romans les plus fascinants sont les romans vrais que je découvre au fur et à mesure que je vous raconte des histoires de bijoux. Des romans qui rencontrent l’histoire, au gré des révolutions, les reines et les riches aristocrates partent parfois sans rien, reconstruisant une vie ailleurs, comme Natalie Paley. D’autres, comme la Grande Duchesse Maria Pavlovna, arrivent à sauver leurs bijoux, dans un premier temps, mais doivent les vendre pour survivre, des pièces inestimables passent, de temps en temps, dans des ventes aux enchères. Parfois, on retrouve des bijoux cachés pendant des décennies, comme Fabergé dans la rue Solyanka…
On tue aussi pour des bijoux, pour le pouvoir. Le cadavre de Charles le Téméraire est déchiré par les loups, sous les murs de Nancy, mais il ne s’intéressent pas au Beau Sancy. Les meurtres féminins sont, dit-on, discrets… pourtant, à lire l’histoire qui deviennent riches au fur et à mesure que leurs maris successifs décèdent, on se pose des questions, qui resteront sans réponse
Il y a aussi toutes les héritières, malheureuses, craintives, enfermées dans une fortune qui les coupe de toute affection réelle. Les ventes des Christina Onassis, Barbara Hutton parlent de bijoux d’exception, de soirées brillantes et de beaucoup de tristesse.
La formule de Sotheby’s, dans le catalogue de la vente d’Avril 2014 où le collier Hutton-Mdivani dépassera la somme record de vingt-cinq millions d’euros , est surprenante de lucidité et de sincérité :
Ses bijoux n’étaient seulement l’affichage de sa grande richesse, mais aussi une source de réconfort. Ce qu’elle trouvait dans ses joyaux était l’alliance de la permanence et de la perfection, qu’elle ne put jamais trouver autrement dans sa vie.
L’argent ne fait pas le bonheur, les bijoux ne consolent pas de tout. Pour une Mara Agnelli, pour une Elisabeth Taylor qui vécut avec fougue et passion, combien de ces « cygnes » ont-elles subis les bijoux que leurs maris donnaient à leurs maîtresses ? Combien de Wallis Simpson qui n’arriveront jamais à faire totalement oublier la mésalliance que leur mariage représente, qui seront toujours soupçonnées d’arrivisme et d’intérêt, qui se consoleront avec des dépenses somptueuses de ne pas pouvoir être pleinement, entièrement respectables, héritières des courtisanes du début du siècle, qui faisaient compétition de bijoux ?
Les bijoux de la belle Hélène
Pour finir, je voudrais juste évoquer une des parures de bijoux les plus romantiques, celle dont l’archéologique Henri Schliemann a paré sa femme, Sophie. Henri Schliemann a quarante-six et fortune faite en Russie, dans le commerce de la poudre d’or, quand il découvre la Grèce. Il rencontre Sophie (Sofia) Egkastromenou via un ami commun. Il a divorcé de sa précédente épouse, qui ne voulait pas le suivre hors de Russie. C’est un mariage « raisonné », il a besoin d’une épouse, et elle lui semble avoir toutes les qualités nécessaires, il se marie rapidement avec elle ; ils auront deux enfants, Andromaque et Agamemnon. En dehors des prénoms, rien que de très banal…. sauf que ces prénoms trahissent l’obsession de Schliemann pour l’antiquité grecque.
Schliemann est le découvreur de « Troie » et du trésor de Priam. Si l’on sait, aujourd’hui, que ce qu’il a découvert est bien plus ancien que la Troie d’Homère, remontant à l’âge de Bronze, j’ai toujours trouvé fascinante cette photo d’une femme belle et sévère, portant des bijoux fabriqué plusieurs millénaires auparavant, pour une autre femme dont la beauté déclencha une guerre dont on se souvient encore aujourd’hui.
Le mariage de Sophie et Henri Schliemann dura vingt ans, et durant ces vingt ans, elle a été la femme qu’il attendait : belle, intelligente, elle s’intéressait à ses travaaux, participait aux fouilles et l’accompagnait dans ses voyages. Elle partageait son amour de l’antiquité grecque, et méritait de porter ces bijoux, forgés il y a si longtemps, pour une femme inconnue qu’un autre homme aimait…
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